Nous nous soulevons en Minga pour ne pas continuer d’être ce que nous n’avons jamais été

 

Pour toute cette douleur qui nous rend malade dans nos territoires, conséquence de la perpétuation de la conquête, nous allons nous mobiliser. Nous allons continuer de prôner l’autonomie depuis la base. Nous allons marcher pour dénoncer tout ce qui dés-harmonise notre relation avec la Terre Mère et le risque imminent que courent nos Plans de Vie avec l’implantation du modèle minéro-énergétique. Nous allons marcher car la douleur du paysan, de l’afro, du métisse, de l’urbain est la nôtre. Nous allons nous mobiliser car la douleur de la Terre Mère est nôtre et si elle meurt, nous aussi nous nous éteindrons avec elle. Nous allons manifester car c’est la vie qui est en danger. English et Español

 

Nous nous soulevons en Minga pour ne pas continuer d’être ce que nous n’avons jamais été 

 

Quand nos ancêtres ont découvert les espagnols, l’Amérique n’existait pas encore. Le 12 octobre n’existait pas et 1492 non plus. Aujourd’hui, alors que nous continuons de découvrir peu à peu les stratégies qu’ils utilisent pour imposer leur projet de Mort, nous, les communautés et les peuples, nous nous soulevons, en parole et en actes dans nos territoires, pour dire aux conquistadors que nous ne voulons pas de Traités de Libre Commerce (TLC), que nous n’acceptons pas le pillage de notre Terre Mère et que nous n’allons pas continuer à recevoir vos miroirs1. Notre lutte continuera son chemin pour la défense et la construction de la vie, du territoire et de la paix dont nous rêvons, depuis la base et entre les peuples. 

 

A tous et toutes les agents au service de ce projet de Mort, d’où qu’ils viennent, nous leur rappelons que notre Terre Mère n’est pas une marchandise. Elle n’est pas en vente. Elle n’a pas de prix. Notre conscience malgré les difficultés et contradictions continue de croître, continue de résister et veut se tisser aux autres luttes et alternatives qui, dans chaque coin de Abya Yala (Amérique Latine), construisent une parole et des actions dignes de fils et filles de la Terre Mère. Notre temps n’est pas et ne sera jamais celui de la spoliation et du mépris mais celui des rythmes de la vie. Nous allons pousser à ce que l’autonomie n’existe pas seulement dans notre discours, faire en sorte qu’elle ne soit pas une mascarade, une parole vide ou un prétexte, pour que la création et la défense des autonomies soit une pratique concrète qui nous permette de vivre dignement et en liberté. 

Nous n’allons donc pas seulement prolonger la mobilisation contre le modèle économique de l’extractivisme et du soit-disant « libre » commerce ; la terreur et la guerre qui nous extermine et nous déplace ; la législation de dépossession qui veut nous soumettre, nous allons également continuer à construire notre société-autre et exercer depuis la base notre contrôle territorial face à tout acteur armé ou fléau qui dés-harmonise notre territoire. Nous l’avons fait, malgré les contradictions et les difficultés. Actuellement, nous pouvons donner des exemples dans nos Resguardos, en particulier à Toribío, Canoas, Munchique, Jambaló, entre autres. Les communautés de base continuent de dire Non à la militarisation de nos lieux sacrés ; Non au mauvais usage de la plante sacrée et au narcotrafic ; Non à la guerre et aux acteurs armés ; Non à l’exploitation minière ; Non à la privatisation des biens communs ; Non aux décisions autoritaires sans consultation. Une avalanche de Non à tout ce qui menace l’autonomie et consolide la conquête, d’où qu’elle vienne. 

 

Pour toute cette douleur qui nous rend malade dans nos territoires, conséquence de la perpétuation de la conquête, nous allons nous mobiliser. Nous allons continuer de prôner l’autonomie depuis la base. Nous allons marcher pour dénoncer tout ce qui dés-harmonise notre relation avec la Terre Mère et le risque imminent que courent nos Plans de Vie avec l’implantation du modèle minéro-énergétique. Nous allons marcher car la douleur du paysan, de l’afro, du métisse, de l’urbain est la nôtre. Nous allons nous mobiliser car la douleur de la Terre Mère est nôtre et si elle meurt, nous aussi nous nous éteindrons avec elle. Nous allons manifester car c’est la vie qui est en danger. 

 

Danger annoncé et dénoncé durant des dizaines d’années par les communautés et les peuples décidés à affronter avec une conscience convertie en chemin à suivre. Chemin et conscience qui ont été formulés, entre autres, lors de la Consultation Populaire face aux Traités de Libre Commerce (TLC) avec les États-Unis réalisée en mars 2005, et depuis la Minga (2004-2008). A cette occasion, des routes ont été tracées pour transformer un pays de maîtres et sans peuple en un pays des peuples sans maître, avec une plate-forme politique de 5 points élaborés à partir de la douleur, la parole et l’expérience des communautés, conscientes de cette nouvelle imposition de la Conquête, masquée par l’euphémisme de « libre commerce ». Les communautés nous ont alerté avec clairvoyance du risque imminent pour la vie toute entière et pour la Terre Mère. Un programme de résistance et d’alternative au libre commerce que des milliers de villageois et villageoises ont porté dans et depuis leurs territoires, parcourant le pays lors de la Minga de Résistance Sociale et Communautaire de 2008, qui, en fin de compte, n’a pas pu être ignorée et dont la graine a été semée dans la terre fertile de la résistance. 

 

Les années obscures et difficiles de la confusion et de l’oubli apparent continuent avec, comme toujours, son lot de persécution, manipulation des arguments, mensonges, convoitises,  autoritarismes, contrôle par les dénonciations de ceux qui osent – ou ont osé – exiger la défense des espaces de débat et de réflexion critiques et ouverts dans la communauté qui permettent de passer au dessus du pouvoir et que la vérité tissée de manière communautaire soit toujours présente. Nous avons sentis et nous sentons encore la douleur de la dépossession et de l’abandon du chemin pour la vie, remplacé par le froid calcul de l’intérêt particulier qui se sert de tous, manipule et pénètre tout ; et même nos processus d’organisation. 

 

Nous continuons et nous avons continué en sachant que la graine de la Minga face au « libre commerce » et à la Mort, devait être protégée. Mais on aurait dit qu’il n’y avait pas de terre fertile pour la sauver. Nous avons donc été remplis de joie lorsque des milliers de paysans et paysannes de divers secteurs de l’agriculture ont paralysé le pays, justement soulevés contre le modèle économique et son soit-disant libre commerce. 

 

La graine rencontrait un terrain fertile dans les mains de gardiens habitués à travailler la terre, produire des fruits et des aliments et, en conséquence, souffrir de la spoliation de la conquête définitive aux mains de l’extractivisme. Dans la diversité et la dispersion, ce sont justement les semences qui les ont fait se soulever et se mobiliser dignement lors de la Grève Nationale Agraire. La parole de la Terre Mère, la même qui nous avait amené à réaliser la Minga, se convertit aussi pour la paysannerie en programme de résistance à la Conquête du « libre commerce ». C’est la défense de la vie, l’appel de Mama Kiwe (Terre Mère), l’origine et le destin de notre lutte. Ainsi, notre lutte commune, cette Minga, n’a pas de maîtres ni d’autorités, et ne doit pas en avoir. Ainsi, se soulever en Minga c’est obligatoirement refuser ceux qui ont prétendu commander, d’où qu’ils viennent. L’autorité c’est la vie elle-même et la Terre Mère, mobilisées à travers les peuples en résistance qui la reconnaissent encore et la respectent. 

 

Comme nous l’avons dit depuis des dizaines d’années, nous savons aussi que ce dont nous avons besoin n’existe pas encore et que nous n’avons pas encore de mots pour le définir : cependant ce quelque chose se trouve dans les territoires et dans leurs offrandes de biens communs, comme l’eau, sans lesquelles il n’est pas possible de vivre. Cependant nous savons aussi que ce système, ce projet de mort comme nous avons appris à le reconnaître et à le nommer pour lui résister, est en crise et pour dépasser cette crise il doit nous déposséder de nos territoires – physiques ou imaginaires -, de nos volontés autonomes et collectives, nous recruter, nous éliminer et extraire le sang et la vie de notre Terre Mère pour alimenter son insatiable cupidité. Pour les conquistadors et leurs complices les peuples sont de trop, ils menacent donc nos consciences et éliminent la vie. Leur accumulation capitaliste ne peut plus s’arrêter. C’est pour cela qu’il est urgent non seulement de comprendre ce projet de mort pour y résister, de construire des alternatives et de se mobiliser pour tisser entre peuples, mais aussi retrouver le chemin d’un autre monde, possible et nécessaire, dépasser les confusions avec lesquelles ils nous achètent et nous trompent pour qu’on se rende. 

 

« Ne pas se vendre, ne pas se rendre et ne pas se laisser tromper » sont les leçons pratiques de ceux qui ne tombent jamais dans le piège que nous tendent les mauvais gouvernements et leurs complices, d’où qu’ils viennent. Il est nécessaire de rappeler que lorsque nous n’avons pas d’agendas propres, nôtres, ceux qui nous les imposent nous soumettent. De la même manière, si ce n’est pas notre agenda qui nous mobilise, nous obéissons aveuglement, trompés, aux intérêts de ceux qui nous évincent pour que nous soyons les victimes, les héros, les morts et les blessés utiles à leurs projets. Pour que notre parole chemine nous devons l’élaborer collectivement, avec autonomie et depuis la base. C’est l’unique manière de nous défaire d’eux, ceux qui nous volent et nous utilisent, d’où qu’ils viennent. 

 

C’est en ce sens que nous pensons que les mobilisations et actions directes que nous menons pour défendre la vie et le territoire, ne doivent pas être utilisées par quelques-uns, uniquement pour atteindre les résultats qu’ils promettent d’obtenir lors de négociations avec le mauvais gouvernement, tout en évinçant nos décisions et positions collectives. Car, finalement, nous ne luttons pas pour qu’ils nous donnent un espace dans le projet de mort ni des postes au sein des mauvais gouvernements, mais pour que nos plans de vie et nos bons gouvernements les remplacent pour toujours. 

 

Lors de cette mobilisation, durant le mois que l’occident a baptisé de la « découverte », nous réaffirmons qu’octobre est le mois qui nous rappelle à la mémoire les millions d’indigènes exterminés et les milliers de cultures enterrées, le souvenir du début du génocide, la conquête et la spoliation de notre Abya Yala. C’est pour cela que nous ne fêtons rien. Nous nous soulevons pour nous continuer de nous opposer à la conquête qui se perpétue avec de nouvelles stratégies, plus sophistiquées et plus perverses pour nous dominer et nous coopter. Nous nous mobilisons pour crier au monde que nous avons résisté pendant plus de 520 ans et que nous sommes le futur et la vie. Nous allons continuer à marcher en défense de la vie et de la Terre Mère. 

 

Nous commémorons un futur nécessaire qui est tissé avec tous les êtres de la vie depuis toujours et nous le faisons en marquant notre temps. Pour cela, nous avons nommé une date impossible, qui n’a jamais existé et ne pouvait être : le 11 octobre 1492. Impossible car jusqu’à ce jour l’Amérique n’existait pas, et le calendrier du spoliateur avec son temps pour nous conquérir non plus. De la même façon qu’il y a eu un avant qui n’est jamais rentré dans le calendrier de la Conquête, aujourd’hui nous nommons sans parole « l’après » qui nous soulève, un temps qui viendra et qui est toujours resté dans nos cœurs. Le temps de la vie et de la liberté de ceux de la base, de ceux qui sont près de la terre. Sans nous rendre, ni nous vendre, ni nous laisser tromper : nous retournons à la Grande Maison de la Terre Mère. 

 

Tissu de Communication – ACIN. 

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